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La folie, source d’inspiration musicale

« Dans toutes les cultures, la musique est par essence l’un des langages de la folie », affirme Laurent Muraro, responsable du programme musique et spectacle vivant à l’auditorium du Louvre, où se déroule, du 23 octobre au 7 février 2025, un cycle de concerts en lien avec l’exposition « Figures du fou. Du Moyen Age aux Romantiques », qui se tient à côté, dans le musée.
De la terreur sacrée des Dies irae du Moyen Age aux expérimentations psycho-atonales de la seconde école de Vienne, des mad songs du XVIIe siècle anglais aux sortilèges de l’opéra baroque italien, des remugles de la psyché romantique au total psychanalytique des temps modernes, le personnage du fou inspire les compositeurs, renforçant ou stigmatisant la question de la normalité dans un double processus de renversement et de subversion.
Le fou est d’emblée associé aux instruments à vent, notamment la cornemuse, dont la forme en peau de bête évoque une panse, voire un testicule, imite borborygmes et autres flatulences. Dans l’histoire de l’opéra, c’est la flûte, médiatrice de la déraison, qui soutient, par exemple, les divagations de l’héroïne dans la fameuse « scène de la folie » de Lucia di Lammermoor, de Gaetano Donizetti. Vocalises étourdissantes, aigus stratosphériques, ruptures de tons, ou, au contraire, errance mélodique et calme inquiétant : les stigmates du dérèglement psychique portés par la vocalité sont, là encore, réversibles. Les conséquences d’un amour malheureux aliènent les femmes (Ophélie dans Hamlet, d’Ambroise Thomas) ; les conséquences coupables du meurtre égarent les hommes : visions spectrales du régicide dans Macbeth, de Giuseppe Verdi, du tsar meurtrier d’enfant dans le Boris Godounov de Modeste Moussorgski.
« Notre cahier des charges entre directement en résonance avec l’exposition », précise Laurent Muraro. Les six concerts s’inscrivent essentiellement dans la période qui va du Moyen Age gothique à la Renaissance, avant de jouer les prolongations dans une « coda » atteignant aux rivages névrotiques du XXe siècle.
L’ouverture du bal de la déraison, le 23 octobre, a été confiée au flûtiste et chef d’orchestre italien Giovanni Antonini, à la tête de son ensemble musical Il Giardino Armonico, avec un concert intitulé La Morte della ragione (« la mort de la raison »), d’après une pavane anonyme du XVIe siècle, qui avait déjà donné son titre à l’album multiprimé paru chez Alpha Classics en 2019. Une fresque instrumentale qui convie la fine fleur européenne de la fin de la Renaissance, de Josquin Desprez à Giovanni Gabrieli, en passant par Alexander Agricola ou John Dunstable, renvoyant au janusien visage évoqué dans le célèbre Eloge de la folie d’Erasme. Deux formes s’y opposent. Celle qui « se produit chaque fois qu’une douce illusion de l’esprit délivre l’âme de ses soucis angoissants et la plonge dans une volupté multipliée » et celle, éminemment destructrice, « que les Furies vengeresses font surgir des Enfers toutes les fois que, déchaînant leurs serpents, elles introduisent dans le cœur des mortels l’ardeur pour la guerre » (Eloge de la folie, XXXVIII).
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